La phase 1 de la restauration (retable fermé, 2012-2016) a donné des résultats exceptionnels. Le dégagement prudent des surpeints dont certains très anciens, a mis à nu une couche picturale dont la qualité lui a valu une attribution non contestée à Jan Van Eyck.
Dans la publication richement documentée qui accompagne cette phase 1 de la restauration (1)Bart Fransen and Cyriel Stroo (dir. by), The Ghent Altarpiece. Research and Conservation of the Exterior. Contributions to the Study of the Flemish Primitives, Royal Institute for Cultural Heritage, Brussels, 2020. , les difficultés de l’entreprise, les consultations et de très nombreuses précisions sont exposées par divers auteurs. Les experts internationaux se sont réunis 5 fois pendant cette phase, deux fois à la demande des restaurateurs.
Sous une autre restauratrice responsable, la phase 2 a été catastrophique (retable ouvert, registre inférieur, 2016-janvier 2020). Dans le panneau central avec l’Adoration de l’Agneau, la partie haute (près d’un quart de la surface, en rouge sur le schéma ci-dessous) a été irréversiblement endommagée par le grattage au scalpel de la couche en surface, supposée être, selon les restaurateurs, « un surpeint du 16e s …[constituant] une couche stratigraphique continue». Le but du grattage était d’égaler le résultat obtenu par les restaurateurs de la phase 1.
Fig.: (schéma H.V.) la surface de la partie haute a été totalement et malencontreusement grattée au scalpel. Lorsqu’on tente de dissocier deux couches picturales exécutées à intervalle rapproché, comme cela s’avère avoir été le cas ici, on se heurte à des difficultés insurmontables. Le scalpel ne peut qu’endommager fortement la couche sous-jacente.
Personne ne semble avoir contesté la datation par les restauratrices du ‘surpeint’ (‘16e siècle’). Or aucune méthode de Laboratoire ne permettait la datation précise du ‘surpeint’: la palette eyckienne comporte une vingtaine de pigments utilisés couramment dans la peinture des 15e et 16e siècles. Le ‘surpeint du 16e siècle’ pouvant également dater du 15e siècle, on ne peut pas exclure qu’il ait été réalisé, au moins en partie, par Jan Van Eyck sur le projet que son frère Hubert avait dû abandonner pour des raisons de santé. Contrairement au beau résultat obtenu pour la phase 1, la phase 2 dégage au scalpel une couche médiocre et plate, endommagée au point de nécessiter une ample retouche. On peut suggérer qu’au moins ± 50% de la surface mise à nu par le scalpel est ‘repeinte avec un talent limité’ par les restaurateurs. Vous trouverez de nombreux exemples de ces retouches dans les pages qui suivent.
Fig.: au-dessus : avant restauration ; en dessous : après r. Après restauration, la prairie est plus claire, plus plate. Les arbustes et les buissons sont moins touffus.
Après étude il semble bien que c’est, pour une grande part, la couche picturale originale de Jan qui a été enlevée sur cette partie haute, presque le quart de la surface du panneau. Et c’est la couche de faible qualité et sans doute inachevée d’Hubert que les restaurateurs ont fait apparaître avec difficulté au scalpel.
Sur le site web: http://closertovaneyck.kikirpa.be on peut appeler simultanément, en haute définition, les photographies avant- pendant- et après restauration. Cliquez sur le bouton ‘pendant’ pour appeler les trois documents simultanément. On peut ‘zoomer’ dans l’image et se faire une opinion sur le bien-fondé ou non du grattage de la surface dans la zone incriminée. Je recommande vivement de faire l’exercice. Il n’est pas nécessaire de faire appel à un expert: les illustrations parlent d’elles-mêmes. Elles sont objectives.
Les illustrations de ce dossier proviennent de closertovaneyck et sont extraites de la zone haute de l’Adoration de l’Agneau, sauf si précisé autrement. Par exemple, quelques illustrations sont empruntées aux volets des Chevaliers du Christ et des Ermites à titre de comparaisons. Sans le parti-pris de la transparence adopté dès le départ pour cette importante restauration, avec les images en haute définition avant-pendant et après restauration mises en ligne, on n’aurait peut-être pas pu mesurer avant longtemps l’ampleur de l’intervention faite au cours de la phase 2.
Fig.: exemples de fins détails dans les ouvertures (à gauche), qui ont été enlevés au scalpel (à droite)
Fig.: détail d’un feuillage et d’un rayon, sous la grande église, entièrement repeints par les restaurateurs, dans la zone où le « surpeint du 16es » a été dégagé au scalpel. Presque plus rien n’est ancien dans ce détail. Le nombre de détails repeints est très important.
La restauration terminée, les restaurateurs font la demande d’une année supplémentaire pour poursuivre l’étude de l’Adoration, jugée plus complexe qu’ils ne l’avaient imaginée, afin de rédiger au mieux leur rapport (2)http://data.closertovaneyck.be/ec2/data/LamGods_Behandeling_Fase2.pdf (en néerlandais et en anglais)et la publication (3)Kathleen Froyen et Hélène Dubois (eds.), Conservatie- en restauratiebehandeling van het Lam Gods veelluik: fase 2: het onderregister van het open altaarstuk (2016-2019), Brussel, KIK-IRPA, april 2020. Online en juillet 2020. Griet Steyaert, Marie Postec, Jana Sanyova, Hélène Dubois et al., The Ghent Altarpiece. Research and Conservation of the Interior. The Lower Register. Contributions to the Study of the Flemish Primitives, Royal Institute for Cultural Heritage, Brussels, 2021. . C’est au cours de cette année supplémentaire, après la restauration, que les restaurateurs ‘découvrent’ la participation d’Hubert. Pourtant, les détails grâce auxquels ils reconnaissent la main d’Hubert étaient depuis toujours, ou depuis longtemps bien visibles en surface, et ils auraient pu les remarquer avant la restauration. Ils attribuent à Hubert quelques visages de moindre qualité. Ils voient également que deux prairies se superposent : la prairie de Jan, sur celle d’Hubert. La superposition des deux prairies était visible en surface depuis 1950. La ‘découverte de la participation d’Hubert’ s’est faite trop tard pour la partie perdue de la prairie.
Au cours de l’année supplémentaire, les images et un rapport concernant la restauration sont mis en ligne (2020, closertovaneyck). Suit une publication en 2021 (Steyaert et al.). Les pages consacrées à la restauration du panneau central et des volets sont très limitées (p. 9 à p. 30, dont plusieurs pages consacrées à des illustrations). Après ces quelques pages, la publication traite essentiellement de l’Adoration après restauration (donc après l’enlèvement du ‘surpeint’ déclaré dater du 16e siècle). Un chapitre suivant dans le livre de 2021 souligne la difficulté pour les chimistes de décrire la stratification complexe des couches picturales. L’ouvrage se termine par une étude stylistique.
Fig.: ce schéma imprécis fait par les restaurateurs est intégré dans le rapport (2020) et laissé inchangé dans la publication de 2021. Selon la légende KIK-IRPA : [en rouge :] « surpeints enlevés sur l’Adoration ». Le ‘surpeint’ qui nous intéresse dans ce dossier se situe dans la partie haute: la zone où la couche superficielle du ciel, de l’architecture, des arbres et arbustes, et de la tête de l’Agneau… a été grattée au scalpel. Ce schéma, dans l’ensemble peu précis, traduit bien l’indécision au sujet de l’étendue du ‘surpeint’, à un moment où on ignorait la participation d’Hubert. Les grands manteaux, à l’avant-plan, sont entièrement indiqués en rouge. Ce n’est parfois qu’un surpeint très limité, sur un joint par exemple, qui y a été gratté au scalpel, et pas toute la surface du manteau. Mais si on avait compris au moment où on faisait le schéma que Jan avait presque entièrement surpeint Hubert, pratiquement toute la surface devait être rouge sur le schéma!
Les deux comités (le national, et l’international), chargés de superviser la phase 2, pensaient avoir accompli leur devoir lorsque le retable de l’Adoration était revenu à la cathédrale Saint-Bavon en octobre 2021. Apparemment, à la satisfaction de tous.
Dès 2020 mais surtout en 2021, un connaisseur de Van Eyck, Dirk Huyghe (4)Artiste, auteur de Vanhetlamgodsgeslagen où il met en cause pour la première fois la restauration de la phase 2. , a commencé à interroger son entourage et les restaurateurs de l’IRPA sur la disparition d’un beau détail dans le paysage lointain : le château ‘Cortewalle’, que certains pensent avoir été la demeure des donateurs Joos Vijd et Elisabeth Borluut. Quand j’ai tenté de comprendre pourquoi le château avait été effacé, j’ai remarqué qu’une surface beaucoup plus vaste que le château avait été grattée: près d’un quart de la surface de l’Adoration de l’Agneau. C’était en grande partie le travail de Jan qui avait été laborieusement enlevé au scalpel, pour laisser à nu une couche médiocre, celle d’Hubert , sérieusement endommagée par le scalpel. Près de la moitié de cette couche a nécessité une retouche, très médiocre comme on le verra dans certains détails de ce dossier. A ce stade, peu de monde s’était inquiété.
Examinant les dégâts avec un représentant de la Fabrique d’Eglise de Saint-Bavon en mai 2023, celui-ci m’a envoyée à la Vlaamse Overheid, qui m’a demandé un rapport en juin 2023. Ce rapport a été communiqué aux restaurateurs de l’IRPA, qui ont rédigé une ‘réplique’. Les deux points de vue ont été défendus lors d’une réunion organisée par la Vlaamse Overheid à Gand le 30 août 2023.
Ensuite des décisions furent prises par les autorités: une gouvernance plus stricte, un contrôle renforcé des restaurateurs. Cette décision est illustrée dans un organigramme complexe : une série d’autorisations seraient demandées et accordées (ou non.. ). En outre, les comités ont été restructurés et les voix dissidentes écartées. La discrétion est désormais exigée des comités. Si discussions il y a, elles seront en interne. On peut donc s’attendre à des approbations prises à l’unanimité pour la phase 3.
Considérant que les mesures étaient insuffisantes pour la protection du retable haut (phase 3), Jean-Pierre Coppens et moi-même avons organisé une conférence de presse, le 2 décembre 2023. En outre, pour une meilleure information du public, nous avons préparé le présent site web.