Les hyper-restaurations
Les restaurateurs de la phase 2 n’ont pas reculé devant la pratique de l’hyper-restauration (une restauration allant trop loin, une invention, un emprunt à une autre peinture…non conforme à la déontologie de la profession de restaurateur). Dans la vallée lointaine au centre de la zone endommagée, ils remplacent une chapelle par une rivière. Cette chapelle était très ancienne puisqu’elle figure déjà sur la copie de Coxcie en 1557-58. Les dégâts sous la chapelle, révélés par la radiographie, impliquent que cette chapelle n’était - pas originale. Mais même si elle était une très ancienne réparation, et on ne pouvait pas l’enlever.
Fig.: les restaurateurs vont gratter toute cette zone bleue, y compris la chapelle, parce qu’elle se situait sur de dégâts comme on peut le voir sur la radiographie. Tout ce bleu ne convenait pas dans ‘leur’ paysage, désormais constitué de prairies vertes plutôt que de lointains bleutés. Les restaurateurs ont-ils envisagé avant de gratter ce qu’ils allaient mettre à la place de la chapelle? Eh bien oui…pourquoi pas une rivière serpentant entre des collines?Vignette: Coxcie a copié le fond bleuté et on y devine la présence de cette chapelle, même si le document dont nous disposons ne présente pas une définition aussi haute que les documents de closertovaneyck.
Fig.: pour les restaurateurs, c’était plus simple de tout gratter jusqu’au bois, mastiquer, et recomposer un paysage tout frais et neuf. Ils écrivent dans leur rapport (closertovaneyck, p. 38): « Derrière le clocher bleu de l’église, une partie des méandres d’une rivière était bien conservée»).
H.V. :vraiment? Où?
Fig.: et voilà …la vilaine rivière qui serpente entre de médiocres collines, en peinture toute fraîche. Même de nouveaux rayons ont été peints par-dessus ce nouveau paysage…tout ici est de la main des restaurateurs.
Fig.: et ensuite, toujours dans le rapport (closertovaneyck): p. 39: « La rivière a été légèrement prolongée sur la gauche au-delà de la grande lacune pour rétablir la continuité et la profondeur du paysage. Arbres et buissons ont été reconstruits sur base d’éléments comparables bien conservés ailleurs dans la peinture».
Toujours dans le rapport (closertovaneyck, p. 40): « Les couches originales de l’Adoration présentaient encore suffisamment d’informations pour permettre une reconstruction…Vu le bon état général des couches originales de l’Adoration, une approche minimaliste de la retouche dans cette zone n’aurait pas pu convenir ».
Fig.:HV : donc, les restaurateurs choisissent l’approche ‘maximaliste’. Et pourquoi pas une rivière laborieusement peinte??? Inspirée d’un modèle de l’époque eyckienne, une Crucifixion (ca.1436) conservée au Metropolitan Museum de New York (bas). Les restaurateurs se rendent ici coupables d’une ‘hyper-restauration’, en rupture avec la déontologie de leur profession. La rivière n’a rien à faire dans l’Adoration. Sa présence pourrait induire en erreur des historiens spécialistes de l’iconographie du retable.
On aurait dû conserver la très ancienne chapelle et on devra un jour enlever la très vilaine rivière.
On aurait dû conserver l’ancienne chapelle.
En résumé: les étapes de l’hyper-restauration
Michel Coxcie copie les lointains bleutés en 1557-1558. | |
Avant restauration: la chapelle, dans les lointains bleutés, existait donc déjà avant le milieu du 16e s |
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La chapelle est une réparation sur |
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Toute la zone est grattée jusqu’au bois. Le grattage fait apparaître deux bâtiments, dans le coin inférieur droit, qui existaient dans la couche sous-jacente (d’Hubert?) |
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L’ hyper-restauration: une rivière serpente désormais entre des collines modernes tout à fait repeintes. Ce sujet s’inspire d’un détail d’une Crucifixion conservée au Metropolitan Museum de New York. |
Un autre exemple d’ hyper-restauration : l’église Notre-Dame de Bruges:
Fig.: en haut: quelques restes d’un clocher avec des fenêtres archaïques (en haut) ont inspiré la reconstitution de l’église Notre-Dame de Bruges. Selon le rapport des restaurateurs, la reconstruction s’inspire d’un modèle trouvé grâce à Google (en bas à gauche). Elle est réalisée à l’aide de techniques d’imagerie digitale (en bas au centre), malgré la présence de fenêtres stéréotypées inappropriées qui subsistent dans le résultat final (en bas à droite).
Cette hyper-restauration affecte, elle aussi, l’iconographie et l’histoire du grand retable.